LASNE FOR EVER
L'Etat "Cigale", conférence faite au Cercle Solvay en 1988
Comme un petit air de déjà vu aujourd'hui.......
L'ETAT "CIGALE"
Quand les socialistes ont perdu les élections en France, une partie de la presse belge a vanté la réussite économique du socialisme français.
Ah, si on faisait la même chose en Belgique !
Comme c'est vrai.
Ah, si nous pouvions, comme les socialistes français l'ont
défendu, limiter la dette publique à 20% du PNB, le déficit
budgétaire à 3% du PNB, les dépenses publiques à 45% du PNB, hélas, la vérité est tout autre.
La Belgique, depuis 15 ans, a fait du socialisme à outrance sans le savoir, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose. A doses homéopathiques, sous des gouvernements ouvertement de. centre- droit, nous sommes arrivés à un record de socialisme, inégalé dans les pays industrialisés de l'Ouest.
Pompidou disait "Quand les prélèvements dépassent 40% , on change de société". Il y a bien longtemps que nous avons basculé dans une autre société.
La France a aussi fait du socialisme sans le savoir jusqu'en
1981, sans toutefois frôler notre record. Et puis elle a eu la
chance, ou la malchance, de recevoir une dose massive de socialisme de 1981 à 1983, assez pour l'en dégoûter complètement.
L'expérience a d'ailleurs dégoûté les socialistes eux-mêmes.
Ceux qui prônent le dirigisme économique invoquent Keynes et la relance par les dépenses publiques. Mais Keynes, je l'entends qui frappe de ses poings sur le couvercle de son cercueil "ouvrez-moi, laisse-moi sortir, je n'ai jamais dit qu'il fallait un déficit budgétaire de 13% , une dette publique totale de plus de 100% et des dépenses publiques de 63% du PNB. Mes recettes ne marchent plus quand on en est là.
Il faut au contraire ramener au plus vite la dette publique à un niveau supportable".
Garret Hardin (Tragedy of Commons - Revue Science 1986) explique ainsi l'évolution d'un bien collectif.Imaginez un pâturage accessible à tous. Chaque berger va chercher à maximiser son gain. Il va donc ajouter une bête supplémentaire dans le pâturage, dans l'espoir de vendre une bête de plus. Mais comme tous les bergers font la même chose, il y a surpâturage, la pâture est appauvrie et le gain sera négatif. La liberté dans un système de biens collectifs entraine la ruine pour tous.
Appliquons cela aux revenus de la nation. En s'appropriant une partie des revenus du pays, l'Etat la collectivise, rendant ces revenus accessibles à tous. Chacun va augmenter ses exigences et l'Etat, pour y répondre, va augmenter son appropriation, ainsi de suite. La partie collectivisée des revenus va atteindre une telle ampleur que ce sont les revenus eux-mêmes qui commencent à baisser, comme dans le cas de la pâture.
La seule façon de sortir de ce cercle vicieux est de reprivatiser au moins une partie de la pâture, c'est-à-dire une partie des revenus collectivés.Mais il est difficile de faire marche arrière parce que nous avons tous contribué à cette situation.
L'Etat, c'est toi, c'est vous, c'est nous tous.
Vous connaissez le coucou. C'est un oiseau qui pond son oeuf dans le nid des autres, de préférence des petits oiseaux. Quand il naît, les petits oiseaux s'épuisent à le nourrir. Et il grandit, grandit et évince les autres petits qui sont éjectés du nid.
L'Etat coucou a déposé son oeuf dans notre nid. Nous l'avons nourri jusqu'à épuisement, pensant qu'il était comme nous, de centre-droit et qu'il allait rester petit. Et il a grandi, grandi grâce à nous, jusqu'à éjecter le secteur privé. Mais contrairement au vrai coucou, l'Etat-coucou n'est pas parti à la fin de l'été. Il est toujours là et il ne se passe pas un mois, pas une quinzaine sans qu'il se rappelle à nous.
Coucou me voilà, avec la modération salariale, coucou avec la cotisation de solidarité, le précompte immobilier, l'impôt des personnes physiques, le supplément pour insuffisance de versements anticipés, etc ...
Le socialisme économique est un échec partout; même en Autriche, il commence à craquer.
Les idées de gauche sont en train d'agoniser. Elles se figent dans un marxisme dont on ne sait plus s'il est infantile ou sénile.
Elles encouragent dans l'économie les forces pétrifiantes, au détriment des forces innovatrices.
Que d'années et de milliards perdus Il faut dire que la prétention scientifique du socialisme, alliée à la main invisible au gauchisme, collectiviste, constituait une coalition redoutable.
D'une part le dogme, d'autre part conformément au vade-mecum de Lénine, d'innombrables organisations, institutions, associations, commissions d'autant plus faciles à noyauter qu'elles étaient nombreuses en effectifs.Le socialisme est un échec parce que, prétendant tout baser sur l'homme, en fait, il ignore superbement; plus même, au nom, de l'idéologie il veut en faire un numéro dans la masse. C'est le grand mythe de l'égalitarisme.
Pour vaincre le socialisme économique, il faut dégonfler l'Etat et le ramener à ses tâches essentielles et indiscutables.Mais encore une fois, c'est difficile dans un pays qui a pris l'habitude de se tourner vers l'Etat, comme vers une drogue pour soulager ses maux.
Pour dégonfler l'Etat, il faut tout d'abord dénoncer l'idéologie et ensuite regarder les réalités en face. Mao disait "Les dogmes sont moins utiles que la fiente, car ils ne peuvent féconder les champs". Les dogmes de la "justice sociale" de la "solidarité" et de "l'égalitarisme" n'ont fécondé ni la richesse, ni la croissance, ni l'emploi. Ils font partie de ce que Pierre Moussa, ancien P.D.G. de Paribas, appelle "les idéologies péremptoires".
L'accent en Belgique est mis beaucoup trop, par certains, sur la redistribution et pas assez sur l'augmentation de la richesse à distribuer.
Or la première réalité est que la richesse d'un pays comme le nôtre, sans autres ressources, aujourd'hui, que sa main-d'oeuvre, c'est le travail. Il faut donc, non pas limiter, mais augmenter le volume de travail en supprimant les réglementations qui l'empêchent et en réduisant le coût total de l'emploi pour les entreprises. Et qu'on ne dise pas qu'il n' y a pas de travail disponible il suffit de regarder le développement de l'économie "souterraine"
.Aujourd'hui, plus personne de bonne foi ne doute et les comparaisons avec les USA le prouvent, que le problème du chômage est celui du coût trop élevé de l'emploi et plus personne ne doute que ce coût est trop élevé à cause de l'importance des transferts fiscaux et sociaux.
La deuxième réalité est que la croissance dépend d'une bonne allocation des ressources et que le passage par l'Etat d'une trop grande partie de la richesse créée dans le pays a conduit à une mauvaise allocation des ressources et donc à une croissance faible, voire nulle. Les Anglo-Saxons appellent cela le "capital mis-match" l'investissement mal assorti. Ce ne sont pas les exemples qui manquent en Belgique.
Sauf là où il crée des biens publics, l'Etat ne crée pas de richesses, il les répartit. Seules les entreprises, avec leur personnel, créent de la richesse. Les entreprises publiques, la plupart du temps, consomment de la richesse. 63% de la richesse créée dans le pays subissent un monstrueux et coûteux recyclage.
D'abord des centaines de milliards sont prélevés au passage pour faire marcher la colossale machine; ce qui est recyclé est alors reversé selon les règles du marché politique et l'on constate finalement qu'on a prélevé une part énorme sur les hommes et les entreprises performants pour la donner aux hommes moins performants et aux entreprises en déclin.
A cela s'ajoute la priorité donnée, jusqu'il y a peu, à la consommation au détriment de l'investissement qui laisse le pays avec une structure industrielle inadaptée aux besoins mondiaux.L'industrie, quant à elle, attaquée de toutes parts, est en passe de devenir, comme le disait récemment le président de l'ICI, une espèce de danger. Des voix s'élèvent même qui se demandent si l'industrie sert encore à quelque chose, comme si les services pouvaient vivre sans industrie et payer à eux seuls pour les importations.
Cela ne pouvait pas durer. Les entreprises et les hommes performants, démotivés, deviennent peu à peu moins performants, moins entreprenants. La richesse du pays décline d'autant plus que pour être sûr que certains ne gagnent pas plus, on interdit fiscalement et légalement à ceux qui veulent travailler plus de le faire. Tout cela au nom des slogans de "solidarité" et de "justice sociale". La vraie solidarité, n'est-elle pas de contribuer à ce que le coût de l'emploi diminue afin que plus d'emplois soient créés? C'est ce qui s'est passé aux U.S.A.Ceux qui parlent le plus de "solidarité " et de "justice sociale" ne masquent-ils pas sous ces slogans un corporatisme moyenâgeux visant à assurer à ceux-là seuls qui ont un emploi, une rémunération brute aussi élevée que possible, quel que soit le volume de chômage que cela entraîne? C'est en tout cas le résultat clair et net de cette politique. Le chômage constitue la seule flexibilité du marché de l'emploi: pas étonnant qu'il soit si élevé.
Depuis deux gouvernements, l'hémorragie est arrêtée. Les dépenses publiques, en valeur relative, ne croissent plus mais, en contrepartie, c'est l'austerité et l'immobilisme pour tout le pays et on nous le promet encore pour de nombreuses années.Notre croissance est la plus faible de tous les pays industrialisés.
Pourquoi?
De l'austerité, il en faut pour l'Etat; c'est lui, le problème, c'est lui qui doit faire une cure d'amaigrissement. Il n'est pas du tout évident qu'il en faille pour l'économie. Au contraire, l'économie a besoin d'un reconstituant et de croissance. Ce reconstituant s'appelle libéralisation, motivation, c'est-à- dire diminution de l'emprise de l'Etat, diminution de la fiscalité.
Débarrassons l'économie de son carcan de réglementations et du poids de ses charges, qui ont prouvé l'un et l'autre leur inutilité et même leur nocivité.
L'action doit être double pour réussir austérité et revitalisation. J'entends partout en Belgique dire que le drame du pays est la dette publique.
Je prétends, et je ne suis pas seul, qu'un drame aussi grand est la lourde fiscalité et que les deux vont ensemble.
Pourquoi des milliers de petits entrepreneurs qui employaient, il y a 15 ans, trois, quatre ouvriers n'en ont-ils plus, alors qu'ils ne peuvent pas faire face à la demande? Pourquoi les entreprises de 10 à 49 ouvriers refusent-elles d'embaucher et laissent-elles leurs effectifs décroître, alors que leur carnet de commandes dépasse parfois trois ans? La réponse à cette question est que l'embauche est devenue "un risque déraisonnable". Il est grand temps de s'en rendre compte et d'y remédier autrement que par des gadgets qui ont leur utilité, mais ne résolvent pas le problème. Car si les quelque 140 000 très petites et petites entreprises embauchaient chacune un salarié, en quelques mois il y aurait 140 000 chômeurs de moins.
Savez-vous comment la Hongrie est en train de se redresser?
Déjà en 1957, elle a décollectivisé 10% des terres cultivées.
La productivité de ces 10% est devenue telle qu'ils permettent de nourrir la moitié de la population.
A partir de 1979, "au nom des réalités", la Hongrie a encouragé une "seconde économie" hors collectivisme. L'initiative privée a été facilitée, on a poussé à la création d'entreprises privées.Il y en a aujourd 'hui 20 000 en Hongrie, employant 180 000 personnes et représentant 2% du PNB. (Alain Peyrefitte, encore un effort, M. le Président).
Cela ne vous rappelle rien? Ce secteur qui se développe hors des contraintes et des charges, avec l'assentiment et des employeurs et des employés, n'est-ce pas ce que l'on appelle l'économie noire, chez nous? Et si on la blanchissait? Et si on permettait, pour commencer, "au nom des réalités", que 10% de notre économie soit totalement libérée, que 10% du temps de chacun soient ouvertement consacrés à une activité légale, libre, hors du carcan des réglementations et des charges ?
La motivation, voilà le grand moteur de l'économie, ignoré depuis trop longtemps. Laissons les gens et les entreprises travailler plus, pour gagner plus, et tout le pays s'en trouvera mieux.
Aujourd'hui, diriger une entreprise, c'est réussir à tout moment un parcours du combattant à travers les obstacles des réglementations et des charges. Demandez aux PME si ce n'est pas la vérité.
Si, d'un coup de baguette magique, on pouvait ramener les dépenses publiques à moins de 50% du PNB et réduire les impôts et les charges des personnes physiques d'un montant équivalent et si on s'arrangeait pour que cela se fasse sans accroître la consommation au détriment de l'investissement, il y aurait une amélioration immédiate et déterminante de l'économie dont tout le monde profiterait.
C'est un consensus qui a socialisé l'économie en Belgique. Seul un consensus peut la désocialiser.
Ce consensus existe chez les partis officiellement au pouvoir PSC, CVP, PRL, PVV. Mais il y a l'ACV-CSC omniprésente au pouvoir, qu'il faut encore convaincre.
Seule l'opinion publique est capable de le faire. C'est donc celle-ci qu'il faut persuader d'abord.
Comme le dit Alain Peyrefitte : "Un homme d'Etat, en démocratie, ne peut rien faire de durable sans les électeurs. Il est lié à l'opinion publique, comme à son ombre et nul ne peut sauter par-dessus son ombre". (réf. Encore un effort, M. le Président, p.78)
"Il faut d'abord *se brancher* sur un consensus".
Mais ce consensus n'existe-t-il pas déjà sous une forme floue qui ne demande qu'à s'exprimer?
Réalisme, libéralisation, diminution de la fiscalité n'expriment-ils pas déjà un peu partout un mouvement de pensée vaste et puissant ?
On voit même des régimes socialistes faire sauter l'indexation des salaires, le contrôle des prix, diminuer les impôts alors que la Belgique conserve encore ces vestiges inutiles et nocifs eux- mêmes, et s'apprête, malgré les dénégations du gouvernement, à augmenter les charges.
Pour tenter de matérialiser ce consensus éparpillé, il faudrait tout d'abord un consensus parmi les dirigeants d'entreprises qui s'exprime sous forme d'un plan complet de redressement articulé sur une baisse simultanée et substantielle des dépenses publiques et des impôts.
Ce plan présenté et expliqué à l'opinion publique, constituerait un événement que le gouvernement ne pourrait pas ignorer.
Y a-t-il en Belgique une majorité contre la baisse de la fiscalité? Cela m'étonnerait.
Y a-t-il en Belgique une majorité pour prétendre que toutes les dépenses publiques sont nécessaires? Cela m'étonnerait aussi.
Mais il manque un plan, un programme dûment étudié et argumenté qui matérialise, sous forme concrète, la nécessité, la possibilité, la faisabilité d'une réduction des impôts et des dépenses publiques.
Il faudrait redéfinir, domaine par domaine, les droits et les devoirs respectifs de la puissance publique et des individus.
En étant incapables de réaliser parmi eux un consensus à ce sujet, les dirigeants d'entreprises et les fédérations professionnelles ont une responsabilité indiscutable dans les difficultés du pays.Il ne faut pas croire ceux qui disent : les Belges n'accepteront pas un renversement de politique. Ils l'accepteront dès lors qu'ils auront moins d'impôts à payer. Il ne faut pas croire ceux qui disent que la réduction des dépenses publiques sera à coup sûr déflatoire. Elle ne sera pas déflatoire si on réduit, en même temps les impôts sociaux et fiscaux les plus démotivants.Elle ne sera pas déflatoire parce que nous avons largement dépassé le seuil où une hausse des dépenses publiques à un effet positif sur l'économie, donc une baisse n'aura, au pire, qu'un effet neutre.
Le grand miracle économique socialiste s'est effondré misérablement sauf là où, comme en France, les socialistes n'ont plus fait du socialisme économique.
Il faut pouvoir se hisser au niveau des formidables défis de notre temps, car nous vivons une véritable révolution industrielle, la quatrième de l'histoire industrielle, et les syndicats semblent ne pas s'apercevoir que ne pas s'adapter coûtera bien plus cher que de s'adapter.
Savez-vous comment en URSS on décèle le capitalisme dans l'économie soviétique? C'est là où ça marche. Et là où ça doit marcher, comme dans la production militaire, même en URSS, on tolère un système économique "capitaliste".
Or, vu sous l'angle du volume relatif des dépenses publiques, nous sommes en pleine économie collectiviste.
C'est bien pourquoi, en Belgique, une libéralisation, une décollectivisation partielle des revenus donnera naissance, comme en en URSS, comme en Hongrie, à une activité intense venant rapidement compenser et même dépasser l'effet de la diminution des dépenses publiques.
La diminution du prix du pétrole nous fournit une occasion exceptionnelle.
Mais, attention, dans ce domaine de la désocialisation, la politique des petits pas ne donne rien, il faut un premier "bang" perceptible par tous. L'opinion publique doit être convaincue qu'une orientation nouvelle, déterminée, vigoureuse et durable est prise et qu'elle succède à la période transitoire d'arrêt de l' hémorragie. Elle saura alors que la Belgique va sortir de son marasme.
Une réduction substantielle des dépenses publiques et une réduction même minime des impôts et charges sur le travail sera le signal tant attendu.
Parlons un peu de chiffres.
En 1985, les dépenses publiques totales du pays ont atteint quelque 63% du PNB, soit environ 3 000 milliards de FB.
Le gouvernement parle de 300 milliards bruts d'économie en 2 ans, soit 150 milliards par an. Si on rapporte ce chiffre au total des dépenses publiques, cela ne fait que 5% Imaginons que le gouvernement pousse la réduction des dépenses publiques à 315 milliards en 2 ans et consacre ces 15 milliards supplémentaires à réduire la fiscalité sur le travail, ce supplément ne représente que 0,5% des dépenses publiques annuelles et si on le rapporte au total des subsides aux entreprises - chiffres Kredietbank pour 1983 = 332 milliards - cela ne représente que 4,5% de ce dernier chiffre.
La décollectivisation des revenus, c'est-à-dire la diminution parallèle des dépenses publiques et des impôts fiscaux et sociaux, doit s'opérer sans relancer l'inflation. Les revenus supplémentaires des ménages doivent donc s'investir en bonne partie dans la formation brute de capital fixe, car aujourd'hui l'offre belge répond mal à l'accélération de la demande tant intérieure qu'extérieure, notamment en équipements technologiques modernes (voir rapport BNB sur le commerce extérieur)La structure de notre industrie, accablée par 15 ans de dirigisme, est devenue inadéquate; il est urgent d'y remédier et pour cela, il faut investir plus et investir bien.
Cela entraînera, dans un premier temps, une hausse des importations de biens d'équipements, il s'indique donc de diminuer l'importation de biens de consommation en favorisant l'épargne interne.
Le programme de décollectivisation pourrait ainsi comporter quatre grands volets.
1/ Une libéralisation dans le domaine social et les prix.
Faire ce que même les gouvernements socialistes ont fait: libérer les prix et supprimer l'indexation automatique du coût de l'emploi. Je dis bien le coût de l'emploi. L'indexation doit redevenir une matière négociable et cesser d'être une obligation automatique quasi légale qui contraint les syndicats à réclamer plus. Supprimer ensuite les entraves du travail et notamment toutes celles qui visiblement empêchent les PME d'embaucher; favoriser l'ajustement des effectifs est une des conditions de l'embauche. Cette libéralisation doit être totale, réalisée par étapes, la première étape étant suffisamment significative pour entraîner la conviction des responsables de l'économie. Je rappelle, si c'est nécessaire, que les pays qui n'ont jamais pratiqué le contrôle des prix et qui ont des législations sociales moins contraignantes que la nôtre, ont moins de chômeurs, moins d'inflation et une monnaie plus forte.
2/ La réduction des dépenses publiques. Cette opération n'est techniquement pas plus difficile à faire que la réduction qu'ont dû effectuer les entreprises et les ménages belges touchés par la crise et par le matraquage fiscal. Le problème est uniquement politique.
S'il y a , en parallèle, une réduction des impôts, l'opinion publique ne sera pas hostile. Elle attend en effet autre chose que de l'austérité et elle a constaté l'échec de l'Etat-Providence. Je ne vais pas entrer dans le détail des réduction à opérer, je ne citerai que ce que des gouvernements socialistes s'apprêtent à faire eux-mêmes :- Réduction du nombre des fonctionnaires- Suppression d'une partie des innombrables organismes étatiques, para-étatiques ou mixtes (il y en a environ 3 000 en Belgique) - Privatisation et/ou suppression des monopoles d'Etat, et surtout dans le domaine des télécommunications, si prometteur d'avenir.
- Equilibre de la sécurité sociale en revenant à sa fonction d'assurance, sans augmenter les prélèvements d'une part, en modifiant les mécanismes automatiques conduisant aux abus (revoir le remboursement des petits risques, ticket modérateur généralisé, etc ... ) et, d'autre part, en rendant l'entreprise "sécurité sociale" plus performante, moins coûteuse administrativement et financièrement (audit notamment des mutualités)
Deux remarques concernant la sécurité sociale :
- Tout d'abord, la pauvreté doit être rencontrée par des mesures propres, indépendantes de la sécurité sociale. La pauvreté passe d'ailleurs à travers le filet de la sécurité sociale.
- Parmi les dépenses de consommation, celles touchant la santé ont augmenté de façon explosive en volume et en prix.
Comment s'en étonner dès lors qu'elles sont gratuites? si on décrétait que l'équitation est gratuite, ne croyez-vous pas que, aux frais de l'Etat, des centaines de manèges surgiraient de terre, que le coût de l'heure d'équitation triplerait ainsi que le prix des chevaux ?
Ici je voudrais faire une mise au point. Un chef syndicaliste a déclaré que les ouvriers belges payaient assez de charges sociales pour avoir droit à une sécurité sociale aussi coûteuse que la nôtre. Si c'est vrai, faisons en sorte que les entreprises soient autorisées à verser aux ouvriers les charges qu'elles retiennent aujourd'hui et que l'Etat en réclame directement le paiement aux ouvriers. On verra s'ils sont d'accord.
Qu'on fasse la même chose pour les accroissements de précompte professionnel. Après tout, pourquoi les entreprises doivent- elles être des percepteurs d'impôts pour le compte d'Etat?
Cette incroyable supercherie fait qu'aux yeux de tous les salariés, ces charges, quelles que soient leurs étiquettes, incombent à l'entreprise, au patron comme on dit, et pas à eux.
Et ils ont raison. c'est ainsi que cela se passe. Et ils se disent que si ces prélèvements venaient à diminuer, ils n'en verraient rien non plus. C'est pourquoi cela leur est égal.
C'est l'étatisation en douceur, l'opium du peuple. Or, nous sommes le seul pays où cela se passe ainsi. - Suppression progressive de tous les subsides aux entreprises tant publiques que privées et aux organismes de toutes sortes
3/ Réduction des impôts avec encouragement à l'épargne.
Elle doit être parallèle à une réduction des dépenses publiques. Le but est de tenter, par un ensemble de mesures, de revitaliser l'esprit d'entreprise pour susciter la création de nouvelles entreprises. Le grand mot doit être la motivation et la liberté.
Rendre la liberté, c'est rendre aux gens leurs revenus. Il nous faut une politique fiscale motivante.
Ainsi cette opération, neutre en apparence, aura un effet positif sur l'économie, quoi qu'en disent les sympathisants du dirigisme et certains de nos experts qui se basent sur des modèles économétriques trop Keynésiens dans lesquels les facteurs psychologiques n'ont aucun poids et qui ne tiennent pas compte du niveau déjà atteint par le volume relatif des dépenses publiques.
Ce n'est pas du côté de la fiscalité de l'entreprise qu'il faut chercher, mais du côté de la réduction de ses coûts, de la liberté de ses prix et de la motivation au travail.
Or en réduisant l'impôt sur le travail, on fait d'une pierre deux coups, puisqu'on diminue le coût de l'emploi et on accroît le net perçu. C'est la seule manière de satisfaire et l'entreprise et ceux qu'elle emploie.
L'extraordinaire succès des A.R 15 et 150 dans le redressement financier des entreprises doit nous convaincre qu'une initiative de même inspiration en ce qui concerne les revenus du travail conduirait à une tout aussi extraordinaire réanimation de l'activité économique en Belgique.
Les A.R. 15 et 150 ont donné lieu à 2 mesures.
- Une mesure générale : le précompte mobilier libératoire à 25% jusqu'à 1.100.000 FB net de revenus mobiliers; au-delà, il faut réinvestir pour ne pas dépasser 25% d'emprise fiscale.
- Un précompte mobilier de 20% sur les revenus de nouvelles actions souscrites susceptibles de recevoir un surcroît de bénéfice; ces nouvelles actions AFV échappant par ailleurs aux droits de succession pendant 9 ans.
Imaginons une formule analogue pour les revenus du travail.
a/ Tout d'abord une mesure générale pour arriver progressivement à une taxation IPP maximale moyenne de 50% : déductibilité, du revenu total globalisé, de 20% (le taux doit être choisi en fonction de l'enveloppe admise pour la réduction des impôts) des revenus professionnels bruts après cotisation sociale (comme en France) avec obligation, au-delà d'un seuil de déduction de 950 000 FB brut (après cotisation sociale), de réinvestir dans les mêmes instruments que ceux prévus par la loi sur les revenus mobiliers.
b/ Une mesure spécifique
Tout travailleur recevant une allocation de fin d'exercice dont l'importance dépend des bénéfices de l'entreprise aura choix entre payer un précompte professionnel de 25 % à condition de réinvestir son allocation en actions de sociétés ou en obligations de sociétés industrielles et de conserver celles-ci, comme telles, pendant 5 ans ou, pour toute partie d'allocation qui n'aura pas été réinvestie, voir, ce montant s'ajouter, pour la taxation, à l'IPP, au reste de la rémunération.
c/ Une mesure pour favoriser l'emploi dans les nouveaux investissements
Tout le personnel rattaché à un investissement d'extension ayant la nature d'une nouvelle branche d'activité ferait l'objet d'un crédit d'impôt de 31% de la masse salariale, imputable sur le précompte professionnel.
Il serait entendu que le personnel qui aurait été détaché d'autres secteurs de l'entreprise pour être rattaché à la nouvelle branche devrait être remplacé par de nouveaux engagements.
d/ Une mesure relançant la construction
Moteur de l'économie dans tous les Etats.
Alignement du régime des revenus immobiliers sur celui actuel des revenus mobiliers, avec cotisation spéciale pour les revenus immobiliers dépassant 1.100.000 FB nets de précompte immobilier, sous réserve d'exonération en cas de réinvestissement dans des travaux immobiliers ou dans l'achat de biens immobiliers.
4/ Toutes ces mesures doivent absolument s'appliquer dans le cadre d'une monnaie forte, le franc belge étant rattaché, comme le florin, au DM
Une monnaie forte est une monnaie qui n'a besoin ni d'un contrôle des changes, ni d'un taux d'intérêt élevé.
La première chose est de ne pas en imprimer trop pour financer une partie de déficit budgétaire.
Je suis toujours fasciné de lire tel gouverneur de banque nationale affirmer qu'il va strictement limiter la hausse de la masse monétaire et tel autre affirmer tout aussi péremptoirement qu'il est incapable de le faire puisqu'.il n'est pas en mesure de la contrôler.
Tout ce que je sais, comme dirigeant d'entreprises, c'est que si on fabrique trop d'un produit, son prix, sa valeur va baisser.
Ainsi, si on imprime trop d'une monnaie, instrument de mesure de la valeur, cela entraîne automatiquement une hausse des prix mesurés par cet instrument.
C'est évident et pourtant on l'oublie presque toujours.
L'inflation est d'abord et avant tout la manifestation d'une dépréciation de la monnaie.
Or, la monnaie devrait être sacrée. La tâche n° 1 d'un Etat devrait être de sauvegarder la valeur de sa monnaie.
Même Marx l'a proclamé. Cela réclame une grande indépendance du gouverneur de la Banque Nationale, indépendance qu'il n'a pas, qu'il n'a plus dans la plupart des pays industrialisés, sauf aux USA.
Mais on dira: la rigueur monétaire va pousser les taux d'intérêt vers le haut. Certes, si les besoins de l'Etat dépassent ses moyens. Et si les taux d'intérêt sont élevés, que vont devenir les entreprises? De grâce, ne confondons pas taux d'intérêt et taux d'endettement.
Si le mazout est cher que l'on en consomme peu, cela ne pèse pas trop sur le budget d'un ménage. Si les taux d'intérêt sont élevés, mais que les entreprises sont peu endettées, l'effet ici aussi sera réduit. Et plus encore, si la rentabilité de l'entreprise dépasse le coût de l'argent. Alors l'entreprise pourra se permettre de s'endetter plus. Et si on veut réduire les taux d'intérêt, qu'on les rende déductibles de tous les revenus quels qu'ils soient.
De plus, une politique plus convaincante de réduction des dépenses publiques poussera les taux d'intérêt vers le bas.
Le problème n'est pas le taux d'intérêt, mais le taux d'endettement et la rentabilité. Le taux d'endettement a été réduit par les A.R 15 et 150. Il faut poursuivre ce mouvement et s'attaquer en plus maintenant à la rentabilité des entreprises en leur permettant de diminuer leurs coûts. C'est le but des A.R à proposer, pour réduire les impôts sociaux et fiscaux sur le travail, et des mesures permettant d'ajuster les effectifs vers le bas, comme vers le haut.
Certains diront que la consommation est en train de baisser et qu'il faut arrêter cela. Mais l'investissement a baissé beaucoup plus et c'est lui, en première priorité, qu'il faut encourager afin que l'offre de biens belges s'adapte à la demande tant intérieure qu'extérieure. Tout est question d'équilibre. Et en Belgique, la part de la consommation privée est une des plus élevées de tous les pays industrialisés européens, alors que la part de la formation de capital fixe est une des plus basses.
La conclusion de cet exposé tient en peu de mots.
La Belgique ne résoudra pas ses graves problèmes par la seule austérité, c'est-à-dire par la seule réduction des dépenses publiques. Il lui faut une certaine croissance qui est paralysée par la lourdeur de la fiscalité et de la parafiscalité. Il faut donc en plus réduire celles-ci. Mais compte tenu de l'ampleur de la dette publique et du déficit budgétaire, cette réduction ne peut se faire sans réduction parallèle des dépenses publiques.
Ce n'est pas autre chose que nombre d'experts américains réclament de l'Europe afin qu'elle prenne le relais des USA dans l'intérêt de l'économie mondiale.
Mais, de même que les dépenses publiques n'ont pu hausser qu'avec la complicité, inconsciente peut-être, de tous, elles ne pourront diminuer qu'avec la conviction et la collaboration de tous.
Christian Lemaire
mai 1988